L’Arte povera (expression italienne), parfois appelé « art pauvre », est un mouvement artistique italien, qui, au départ de Turin et de Rome, est apparu sur la scène internationale dans les années 1960. Le terme « povera » se veut une revendication du fait que l’œuvre n’est pas grand-chose en elle-même, au sens qu’elle s’ancre dans une démarche globale, que ce soit au niveau de la création (éventuellement collective), de la diffusion, comme de la réception (c’est au public de s’approprier l’œuvre et les propositions qu’elle ouvre, voire de contribuer à ladite œuvre; la « richesse » consiste à « ouvrir » plutôt qu’à enfermer dans un discours).
L’Arte povera s’inscrit dans une histoire artistique dont les thématiques sont alors énoncées par un critique d’art et commissaire d’exposition, Germano Celant. Ce critique d’art décèle un courant artistique nouveau se positionnant dans une volonté de sobriété, à l’instar du minimalisme américain, en réaction au lyrisme pictural de l’expressionnisme abstrait et à la figuration du Pop art. Cette sobriété peut trouver un écho dans une recherche de pauvreté ou simplicité: l’œuvre est réduite à des composants plastiques épurés, sans emphase où l’artiste povériste adopte une démarche à contre-courant de la débauche productiviste.
Parmi les caractéristiques de l’Arte povera, ce principe de pauvreté devient essentiel pour la critique de ce modèle. Ce principe est principalement établi sur la sélection des matériaux employés. Leurs usages se constatent avant tout à l’état brut dans une optique d’immédiateté à la matière et n’ont pas pour vocation initiale à être employés comme matériaux artistiques. Raison pour laquelle le fait de les transposer dans le monde de l’art implique deux idées névralgiques. D’une part, l’Arte povera introduit la notion de banalité dans la sphère de l’art par l’intermédiaire du geste pauvre qui vise à se détacher de toute sophistication. D’autre part, ces matériaux pauvres, souvent trouvés à l’état naturel dans leur environnement, sont en opposition avec l’idée d’une société industrialisée et consumériste.
Contexte historique
En Italie, à la suite de la reconstruction de l’après-guerre, un bouleversement du mode de vie apparait s’orientant vers le modèle américain. L’essor économique est marqué par une industrie qui produit en masse des biens de consommation, l’issue d’une période de développement économique et avant les tensions politiques des années de plomb2. La société de consommation engendre des réactions notamment dans le domaine artistique. Alors que l’art du moment est le Pop art qui glorifie la culture industrielle, un autre courant de pensée émerge dans le milieu artistique italien qui prône une réhabilitation de l’homme et la nature.
De 1961 à 1971, date du centenaire de l’unification de l’Italie à Rome, l’Arte povera trouve ses racines à Rome et à Turin. Les artistes de ces deux villes proposent une orientation stylistique marquée par un héritage artistique qui leur est propre. Turin possède une vision expérimentale et cherche à dépasser le statut traditionnel de l’art pour s’aiguiller vers des valeurs analytiques et conceptuelles. En revanche Rome, davantage imprégnée par l’héritage baroque et la culture classique, envisage l’évolution artistique avec la conservation des valeurs institutionnelles.
Les artistes povéristes partagent une même approche de l’art, mais chacun suit sa propre recherche personnelle. Par exemple, tous ont la même approche d’un matériau naturel, ou d’un matériau culturel par son origine, qui consiste à l’estimer en tant que tel sans le manipuler, ni le détourner de sa nature première par une intervention. L’intervention consiste à valoriser le matériau par un assemblage ou un montage conçu comme contraste de matières et d’énergies, ou comme possibilité d’une nouvelle perception. Ainsi, Jannis Kounellis expose des animaux vivants ou du charbon; Gilberto Zorio utilise des processus de réactions chimiques ou d’actions physiques simples comme l’oxydation et l’évaporation.
Selon Giovanni Lista, dans son ouvrage intitulé Arte Povera (2006): « L’Arte povera oblige l’artiste à une stratégie de balancement entre la matière de l’objet et ses signes d’ordre conceptuel. L’œuvre se révèle dans un statut éminemment physique qui va jusqu’à la prise en compte de son rapport au spectateur. Ainsi, la pauvreté concerne avant tout son langage immédiat : des matériaux primaires, sont réunis dans des montages simples et directs […]. L’œuvre se présente comme une énigme visuelle, exigeant un travail du sens ou donnant à percevoir les résistances tensionelles, la circulation de l’énergie, la transition des forces en présence dans l’objet. […] L’Arte povera a affirmé une poétique de l’œuvre d’art comme expérience sensible. »
Giuseppe Penone se fixe un leitmotiv dans son rapport à la matière : « j’essaye de travailler en suivant le matériau, pas contre lui. Donc je ne veux pas changer le matériel ; Je veux suivre son exemple. C’était l’une des premières règles que j’ai appliquées au travail ».
Durant la deuxième moitié du XXe siècle, l’Italie est en pleine ébullition artistique qui a pour point d’ancrage la reprise de la Biennale de Venise en 1948. Durant cette période l’art informel et concret, côtoient les avant-gardes telles que le MAC (Mouvement pour l’art concret) de Bruno Munari et l’Art nucléaire d’Enrico Baj. En parallèle, une réminiscence du mouvement futuriste apparaît dans la création du concept spatial de Lucio Fontana avec le mouvement nommé Spatialisme.
L’Arte povera est le fruit d’une histoire jalonnée par un ensemble d’artistes qui se sont par moments rassemblés dans une optique plastique et sémantique commune. La souffrance endurée durant ces années de guerre a également apporté après-guerre un désir de partage et d’échange dans le domaine de l’art. Le désir d’une interactivité internationale jumelé à la volonté d’un renouveau artistique s’est réalisé par exemple avec le groupe ZERO. L’orientation artistique s’est opposée à la société matérialiste tel que le suggère Otto Piene dans un article :
« Je croyais à une autre forme de renaissance. Elle devait être spirituelle, intellectuelle, fondée sur les domaines d’excellence de l’histoire allemande : l’art, l’humanisme, la créativité intellectuelle. D’une certaine manière ZERO est né d’un esprit de résistance face à la montée d’un nouveau matérialisme, avec l’espoir qu’un nouvel esprit, un nouveau départ ouvrirait une nouvelle période pour la pensée, les émotions de la vie. À cette époque l’idée la plus répandue était que le bien-être matériel rendrait les gens heureux. J’étais contre cela. »

Les acteurs de Arte Povera, refusant de se prêter au jeu de l’assignation d’une identité, c’est-à-dire de se laisser enfermer dans une définition, rejettent la qualification de mouvement, pour lui préférer celle d’attitude. Etre un artiste Arte Povera, c’est adopter un comportement qui consiste à défier l’industrie culturelle et plus largement la société de consommation, selon une stratégie pensée sur le modèle de la guérilla. Dans ce sens, Arte Povera est une attitude socialement engagée sur le mode révolutionnaire. Ce refus de l’identification et cette position politique se manifestent par une activité artistique qui privilégie elle aussi le processus, autrement dit le geste créateur au détriment de l’objet fini. En somme, en condamnant aussi bien l’identité que l’objet, Arte Povera prétend résister à toute tentative d’appropriation. C’est un art qui se veut foncièrement nomade, proprement insaisissable.
Mais qu’est-ce alors que cette pauvreté que doit viser l’art ? En reprenant l’analogie établie par Germano Celant entre l’art et la guérilla, on peut émettre l’hypothèse que la pauvreté est à l’art ce que l’artillerie légère est au guérillero: l’artiste doit idéalement renoncer au besoin d’un équipement lourd qui le rend dépendant de l’économie et des institutions culturelles. La pauvreté de l’art est une notion négative qui pose une interdiction de moyens quant à la réalisation des œuvres, mais qui requiert une richesse théorique afin de se guider.