L’expressionnisme abstrait

L’expressionnisme abstrait
Expressionnisme abstrait

L’expressionnisme abstrait est un mouvement artistique qui s’est développé peu après la Seconde Guerre mondiale aux États-Unis. C’est aussi un élément central de ce que l’on appelle l’école de New York, école qui a rassemblé les artistes (poètes, peintres, musiciens…) d’avant-garde actifs à New York et aux États-Unis avant et après la Seconde Guerre mondiale.

On parle d’expressionnisme abstrait pour un certain type de peinture, de sculpture et de photographie.

Le mouvement est né dans le milieu artistique new-yorkais dans les années 1940. Plusieurs dénominations sont apparues pour évoquer certains aspects de l’expressionnisme abstrait américain: l’action painting, la colorfield painting ou la Post-painterly Abstraction. Mais la peinture de Willem de Kooning, pour ne citer que cet artiste majeur du mouvement expressionniste abstrait, ne relève d’aucune de ces catégories.

Le terme « Expressionnisme abstrait »

En 1946, le critique d’art Robert Coates, dans un article publié au New Yorker, forge pour la première fois le terme « expressionnisme abstrait ». Les deux mots combinent l’intensité émotionnelle des expressionnistes allemands avec l’esthétique anti-figurative des écoles abstraites européennes.

Les origines de l’expressionnisme abstrait font l’objet de controverses : s’agit-il d’un art spécifiquement américain ou doit-il beaucoup aux avant-gardes européennes? En 1929 est inauguré le MoMA, le museum of Modern Art de New York, pour présenter au public l’Art Moderne. À la suite de la crise économique, en 1935, le président Roosevelt met en place un programme d’aides aux artistes dans le cadre du New Deal. C’est dans le cadre de ce vaste projet qui touche 10 000 artistes de 1935 à 1943 que vont se rencontrer les expressionnistes abstraits.

En 1936, les artistes américains abstraits s’organisent en une association de promotion AAA (acronyme de American Abstract Artists). Ils publient manifestes et articles et réclament l’ouverture des musées américains aux artistes abstraits américains, parmi ses membres Clement Greenberg, Lee Krasner, Piet Mondrian, Ben Nicholson, David Smith, Ad Reinhardt, etc.

Voyages, Patrice Robin (2007)

À partir de 1933, les États-Unis accueillent des artistes ayant fui l’Allemagne nazie: Hans Hofmann (1880-1966) enseigne l’art moderne à l’université de Californie (Berkeley) et à l’Art Student League de New York. Lee Krasner, Clement Greenberg, Mark Rothko sont de ses élèves.

Hofmann a eu une certaine influence sur le développement de l’expressionnisme abstrait, bien qu’il se soit appuyé sur le formalisme cubiste. Il introduit la troisième dimension dans ses tableaux en les transformant en champs de forces dynamiques, très structurés. Hofmann pense que l’acte de peindre comporte des significations psychologiques. Dans son cas, l’opulence de la couleur et de la surface sont des signes d’une personnalité hédoniste. Il se distingue de la peinture « pessimiste » des peintres expressionnistes de son époque par l’expression de sa joie de vivre. Il est à l’origine de la technique du « push and pull, » synthèse des théories de la couleur des avant-gardes parisienne et européennes.

Josef Albers (1888-1976) enseigne au Bauhaus de 1923 à 1933, il est membre fondateur du Salon des Réalités Nouvelles à Paris avant d’émigrer aux États-Unis. Il est considéré comme un des initiateurs de l’art optique (ou « Op art »). Entre 1939 et 1942, Marc Chagall, Max Ernst, Fernand Léger, Piet Mondrian, Yves Tanguy, Roberto Matta, André Masson, Marcel Duchamp et André Breton émigrent à leur tour.

En réalité, si l’on met de côté Matta, Masson et Duchamp, les artistes européens eurent peu de contact avec leurs homologues américains. Dès 1948, ces derniers fondent les bases d’une voie propre aux États-Unis. En 1949, c’est au cours des discussions passionnées qui agitent le Club, au 39 de la 8e rue Est, à New York, que sort la notion d' »expressionnisme abstrait. » Le Club, fondé par de Kooning, Franz Kline et quelques autres attire rapidement des personnalités aussi diverses que Ad Reinhardt et Jackson Pollock, dans un climat fortement hostile à Clement Greenberg et au formalisme. Dans cette après-guerre qui entraîne le boom économique aux États-Unis, New York devient la capitale mondiale de l’avant-garde et, plus généralement, de l’art moderne. Et l’expressionnisme abstrait y est au centre des débats.

Les expressionnistes abstraits puisent leur inspiration et leur technique dans plusieurs sources. Ils sont marqués par les influences du surréalisme (subconscient, écriture automatique, dripping), ainsi que par l’abstraction de Wassily Kandinsky et d’Arshile Gorky ou par les œuvres de Hans Hofmann.

Méditerranée, Patrice Robin (2006)

Comme le dit David Anfam, spécialiste du sujet (on lui doit plusieurs ouvrages de références sur la question), « l’Expressionnisme abstrait n’était pas un mouvement mais un « phénomène ». Un groupe d’artistes américains et immigrés, construisant un art nouveau sur les ruines du monde. Une communauté élargie qui tailla en pièces la peinture d’avant pour en faire quelque chose d’autre, plus brut, plus grand.« 

L’expressionnisme abstrait s’impose avec une nouvelle génération d’artistes vivant, au moins partiellement, à New York. Il se caractérise par des toiles immenses, ou simplement de grande taille, mais pas exclusivement. Certaines sont entièrement peintes all-over (où les éléments picturaux sont disposés de manière égale sur toute la surface disponible). Dans ces toiles exceptionnelles, chaque coup de pinceau annule le précédent et le rapport de celui-ci avec la surface du fond. Procédé qui conduit à une répartition plus ou moins uniforme des éléments picturaux sur la totalité de la surface du tableau qui semble se prolonger au-delà des bords. Bien plus généralement, le tableau expressionniste abstrait met en valeur la matière et la couleur utilisée comme matière.

Caractéristiques

  • Abstraction totale : Les œuvres sont dépourvues de représentation figurative, mettant l’accent sur la couleur, la forme et la texture. L’abstraction sert à exprimer des émotions et des sensations plutôt qu’à représenter des objets du monde réel.
  • Gestualité : Les artistes utilisent des techniques gestuelles, comme le dripping de Pollock, où la peinture est éclaboussée ou coulée sur la toile, créant un effet dynamique et improvisé.
  • Couleurs vives : L’utilisation de couleurs intenses et contrastées est courante, visant à provoquer des émotions chez le spectateur.
  • Approche personnelle : Chaque œuvre reflète la vision unique de l’artiste, souvent enracinée dans des expériences personnelles, psychologiques ou sociales. L’art devient une exploration introspective.
  • Grands formats : Les toiles sont souvent de grande taille, permettant une immersion totale et une interaction physique avec l’œuvre.

Certains artistes qualifiés d’expressionnistes abstraits ont été « regroupés » en deux courants, pour simplifier : l’action painting qui valorise l’action du peintre, ses gestes, et la colorfield painting qui mise sur des effets de surface de couleurs, plus ou moins unies, plates. Par ailleurs, le critique Clement Greenberg qualifiait aussi la peinture des expressionnistes abstraits, en général, de painterly, présentant pour la plupart des effets de peinture qui allaient à l’encontre de la planéité du tableau.

Ce qui naissait sur la toile n’était plus une image mais un événement

Harold Rosenberg (1952)

Les peintres de l’action painting (au sens strict, seul Jackson Pollock a pratiqué l’action painting) produisent apparemment de façon violente, avec des gestes rapides voire manifestement spontanés. C’est en effet la pratique de Jackson Pollock, à partir de sa série de 1946 « The Sounds in the Grass » (« Les sons dans l’herbe« ) et de la mise au point, en 1947, de la technique du dripping, initiée dès 1943, De Kooning à partir de 1952 ou Franz Kline. Les peintres s’attachaient à la texture et à la consistance de la peinture ainsi qu’aux gestes de l’artiste. L’expression action painting fut créée en 1952 par le critique d’art américain Harold Rosenberg (1906-1978). Ce dernier écrit, dans un article du magazine Art News publié en 1952 : « l’un après l’autre, les peintres américains commencèrent à considérer la toile comme une arène dans laquelle agir, plutôt que comme un espace où reproduire, redessiner, analyser ou exprimer un objet, réel ou imaginaire. Ce qui naissait sur la toile n’était plus une image mais un événement.« 

Terre, Patrice Robin (2005)

Le terme Color Field painting a été, à l’origine, appliqué à l’œuvre de trois peintres expressionnistes abstraits américains, Mark Rothko, Barnett Newman et Clyfford Still, autour de 1950. Plus généralement, le terme Color Field Painting est appliqué au travail de peintres abstraits travaillant dans les années 1950 et 1960, caractérisé par de grandes zones d’une couleur unique, plus ou moins plate. Le MoMA donne cette définition: « Peintures qui présentent de grandes zones de couleur, généralement sans contraste fort de ton ou lieu qui centralise l’attention de manière évidente. » Ce musée applique le terme à Barnett Newman, The Voice de 1950, et Vir Heroicus Sublimis de 1950–51, ainsi qu’à Mark Rothko No. 16 (Red, Brown, and Black) de 1958. Ce qui rapprocherait les Expressionnistes abstraits de la première génération de ce concept de color field painting est, par exemple, la peinture de Mark Rothko depuis 1946 avec ses peintures Multiform (surfaces quasi en aplats peu nuancés sur les marges), celles de Clyfford Still vers 1946 (vastes surfaces quasi monochromes) et certaines toiles ultérieures, ou de Barnett Newman à partir de 1948 (en aplats). Selon Clement Greenberg, « la conscience en tant que leitmotiv est née d’une idée de soi très profonde chez ces artistes.« 

Le Color Field painting movement (« mouvement de la peinture du champ coloré ») est aussi un concept utilisé par Clement Greenberg: les peintres du Color Field painting movement, envisagés d’une manière plus restrictive, utilisent alors des champs de couleurs imprégnées (stained into) ou diffusées (spread across). Jackson Pollock, Adolph Gottlieb, Hans Hofmann, Barnett Newman, Clyfford Still, Mark Rothko, Robert Motherwell, Ad Reinhardt et les dernières œuvres d’Arshile Gorky ont été considérées par Greenberg comme en relation avec la Color Field painting. Mais en règle générale Clement Greenberg préférait parler de Post Painterly Abstraction pour désigner les nouvelles tendances issues de cette première génération (expressionniste) qui avait pratiqué une abstraction en général très « picturale. » La nouvelle génération du Color Field movement ne relève pas, en général, de l’Expressionnisme abstrait: ce sont Helen Frankenthaler, Morris Louis, Kenneth Noland, Jules Olitsky, Sam Francis…

L’expressionnisme abstrait est ainsi le premier grand mouvement artistique provenant initialement des États-Unis d’Amérique. Les artistes de l’expressionnisme abstrait expérimentent une nouvelle forme de peinture dans laquelle ils s’expriment principalement par le geste, la couleur et la matière.

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